Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

celui qui se montrait d’ordinaire dans la première jeunesse, même après le tapage de ses débuts. Un de ses camarades de collège, qui l’a vu très souvent jusqu’au printemps de 1833, m’assure n’en avoir guère connu d’autre. C’est celui que Lamartine aperçut « nonchalamment étendu dans l’ombre, le coude sur un coussin, la tête supportée par sa main, sur un divan du salon obscur de Nodier ». Lamartine remarqua sa chevelure flottante, ses yeux « rêveurs plutôt qu’éclatants », son « silence modeste et habituel au milieu du tumulte confus d’une société jaseuse de femmes et de poètes », et ne s’en occupa point davantage ; il devait mettre trente ans à remarquer autre chose.

On rencontre dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie un joli croquis d’un Musset tout différent, « au regard ferme et clair, aux narines dilatées, aux lèvres vermillonnées et béantes ». C’est celui qui se montrait seulement par échappées, le Musset tout frémissant de vie et de passion, dont les yeux bleus jetaient du feu, que le plaisir affolait et qui se laissait terrasser par la moindre émotion, jusqu’à pleurer comme un enfant ; le Musset que le délire saisissait dès qu’il avait la fièvre, et dont tous les contraires, tous les extrêmes, avaient fait leur proie. Il était bon, généreux, d’une sensibilité profonde et passionnée, et il était violent, capable de grandes duretés. La même heure le voyait délicieusement tendre, absurdement confiant, et soupçonneux à en être méchant, mêlant dans la même haleine