Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/51

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éoccupait tant les poètes du XVIIIe siècle. Il a retrouvé l’heureuse brutalité des anciens, leur science du détail réaliste qui frappe l’imagination et fait surgir la scène devant les yeux :

    Comme on voit dans l’été, sur les herbes fauchées,
    Deux louves, remuant les feuilles desséchées,
    S’arrêter face à face et se montrer la dent ;
    La rage les excite au combat ; cependant
    Elles tournent en rond lentement, et s’attendent ;
    Leurs mufles amaigris l’un vers l’autre se tendent.

Son éducation littéraire avait nécessairement mélangé d’éléments étrangers ce vieux réalisme païen, qui semble lui avoir été naturel. Musset nommait Régnier son premier maître, et il y a en effet du Régnier dans plus d’un passage, par exemple dans la comparaison des fileuses :

    Ainsi qu’on voit souvent, sur le bord des marnières,
    S’accroupir vers le soir de vieilles filandières,
    Qui, d’une main calleuse agitant leur coton,
    Faibles, sur leur genou laissent choir leur menton ;
    De même l’on dirait que, par l’âge lassée,
    Cette pauvre maison, honteuse et fracassée,
    S’est accroupie un soir au bord de ce chemin.

Le romantisme des Contes d’Espagne et d’Italie pouvait aussi compter pour du nouveau. Victor Hugo en était encore aux Orientales, et Musset le dépassait en hardiesse. Ses vers disloqués, ses débauches de métaphores, le plaçaient tout à l’avant-garde de l’armée révolutionnaire, tandis que sa verve turbulente et son ironie en faisaient une espèce d’enfant perdu, que nul ne pouvait se