Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/83

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passion) dont je ne me repente pas ». Mais les gens voulaient savoir mieux qu’elle, comme toujours, et les langues allaient leur train. Un grondement de médisances s’élevait du boulevard de Gand et du café de Paris. Il devint clameur à l’entrée en scène du complice—bien innocent, le pauvre garçon—du débordement de romantisme inspiré par la place Saint-Marc et l’air fiévreux des lagunes. La situation apparut dans toute son extravagance, et les trois amis furent brutalement tirés de leur rêve par les rires des badauds. Ils éprouvèrent un froissement douloureux, en se trouvant en face d’une réalité si plate, presque dégradante.

George Sand et son compagnon sont à peine arrivés (vers la mi-août), qu’une grande agitation s’empare d’eux tous. Chez Musset, c’est un réveil de passion auquel la conscience de l’irréparable communique une immense tristesse. Il écrit à George Sand qu’il a trop présumé de lui-même en osant la revoir, et qu’il est perdu. Le seul parti qui lui reste est de s’en aller bien loin, et il implore un dernier adieu avant son départ. Qu’elle ne craigne rien ; il n’y a plus en lui ni jalousie, ni amour-propre, ni orgueil offensé ; il n’y a plus qu’un désespéré qui a perdu l’unique amour de sa vie, et qui emporte l’amer regret de l’avoir perdu inutilement, puisqu’il la laisse malheureuse.

Elle dépérissait en effet de chagrin. Pagello s’était éveillé, en changeant d’atmosphère, au ridicule de sa situation : « Du moment qu’il a mis le pied en