Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/85

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non sans douleur, mais sans désespoir. Les angoisses cruelles, les luttes poignantes, les larmes amères ont fait place en moi à une compagne bien chère, la pâle et douce mélancolie. Ce matin, après une nuit tranquille, je l’ai trouvée au chevet de mon lit avec un doux sourire sur les lèvres. C’est l’amie qui part avec moi. Elle porte au front ton dernier baiser. Pourquoi craindrais-je de te le dire ? N’a-t-il pas été aussi chaste, aussi pur que ta belle âme ? O ma bien-aimée, tu ne me reprocheras jamais les deux heures si tristes que nous avons passées. Tu en garderas la mémoire. Elles ont versé sur ma plaie un baume salutaire ; tu ne te repentiras pas d’avoir laissé à ton pauvre ami un souvenir qu’il emportera et que toutes les peines et toutes les joies futures trouveront comme un talisman sur son cœur entre le monde et lui. Notre amitié est consacrée, mon enfant. Elle a reçu hier, devant Dieu, le saint baptême de nos larmes. Elle est invulnérable comme lui. Je ne crains plus rien, n’espère plus rien ; j’ai fini sur la terre. Il ne m’était pas réservé d’avoir un plus grand bonheur. »

Il sollicite ensuite la permission de continuer à lui écrire ; il supportera tout sans se plaindre, pourvu qu’il la sache contente : « Sois heureuse, aie du courage, de la patience, de la pitié, tâche de vaincre ce juste orgueil, rétrécis ton cœur, mon grand George ; tu en as trop pour une poitrine humaine. Mais si tu renonces à la vie, si tu te retrouves jamais seule en face du malheur, rappelle-toi le serment que tu