Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/201

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enflammer, purifier ou dominer les passions humaines, il ne serait pas difficile de prouver qu’elle n’a avec elles aucune connexion nécessaire et inévitable… » De l’absence de connexion, Poe en arrivait très vite, ainsi qu’on l’a déjà vu, à conclure à l’incompatibilité.

Sa filiation poétique est extrêmement simple. Adolescent, il imitait Byron, prodiguait les apostrophes et les points d’exclamation et affectait des sentiments titaniques entièrement opposés à son naturel : — « Les sentiments ne me sont jamais venus du cœur et mes passions sont toujours venues de l’esprit », dit l’Egœus de Bérénice, l’un des personnages qui ne sont qu’un reflet de l’auteur. Les passions romantiques ne sont en général que des passions de tête. Edgar Poe aurait donc pu continuer à byroniser sans hypocrisie, et tout aussi bien que les autres, mais il y renonça de très bonne heure pour s’abandonner à l’influence de Coleridge. Il lui a fait de larges emprunts pour ses théories littéraires, et il avait étudié ses vers avec fruit, la Ballade du vieux marin en première ligne. De son intimité intellectuelle avec cet illustre mangeur d’opium, auprès duquel les désordres de Quincey n’étaient que jeux innocents, est résultée une œuvre poétique qui n’a pas cent pages, sur lesquelles on peut en négliger la moitié. L’autre moitié, dont la forme prête souvent à discussion, est néanmoins d’un grand poète, si l’on entend par là celui qui a reçu ce qui ne s’acquiert ni ne s’imite, une étincelle de l’essence divine. Il est facile d’avoir beaucoup plus de talent qu’Edgar Poe, sauf dans deux ou trois pièces de la fin de sa vie, où il n’y a malheureusement plus que du talent ; il ne dépend de personne d’avoir des sensations neuves, des perceptions qui révèlent au lecteur un aspect encore inaperçu de la beauté du monde, ou de ses joies, ou de ses douleurs, ou des « volontés sans