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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/236

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à satisfaire. Il aurait fallu ne pas donner prise soi-même pour mener une campagne aussi violente, et ce n’était point le cas. L’ivrognerie de Poe faisait généralement les frais des réponses à ses articles de critique. Les plus écorchés ne s’en tenaient pas là et l’accusaient d’actes infamants, voire criminels. Ce fut le cas de M. English, le directeur de revue qui faisait des fautes de pluriel. Poe lui intenta un procès en diffamation et le gagna, mais ces sortes de victoires coûtent cher ; il en reste dans le public le vague souvenir qu’on a été mêlé à de vilaines affaires, et cette impression était entretenue avec soin par les ennemis du poète.

Edgar Poe, hélas ! prêtait aussi le flanc aux reproches de charlatanisme qu’il adressait à ses confrères. Il ne le cédait à personne pour la science de la réclame, et, si sa probité lui interdisait les moyens déshonnêtes, sa vanité d’auteur lui conseillait les moyens ingénieux. On dirait vraiment qu’à force de s’entendre dire que Blackwood était un « morceau capital », il en était venu à penser qu’il y avait du bon dans les conseils de M. Blackwood à miss Zénobie, puisqu’il les suivit à la lettre ; c’est à croire qu’il s’y était moqué de lui-même. Lui aussi, il eut sa petite provision de citations en toutes langues, les langues qu’il savait et celles qu’il ne savait pas, et il les plaça et replaça « adroitement », avec un mépris superbe de la prosodie, de la syntaxe et du reste. Il faisait dire à Voltaire : — « Les Grecs font paraître ses acteurs… le visage convert d’un masque… », et à Boileau : « Le plus fou souvent est le plus satisfait. » Il copia effrontément les notes des savants européens, transcrivant ingénument les fautes d’impression et prenant le Pirée pour un homme. Il attribua Œdipe à Colone à Eschyle, et mit Ver-Vert et le Belphégor de Machiavel