Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/287

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gens qu’une malheureuse ou heureuse vocation pousse dans les arts ont, en vérité, beaucoup plus de peine que les autres, par l’éternelle méfiance qu’on a d’eux. Qu’un jeune homme adopte le commerce ou l’industrie, on fait pour lui tous les sacrifices possibles ; on lui donne tous les moyens de réussir et, s’il ne réussit pas, on le plaint et on l’aide encore. L’avocat, le médecin, peuvent être fort longtemps médecin sans malades ou avocat sans causes, qu’importe, leurs parents s’ôtent le pain de la bouche pour le leur donner. Mais l’homme de lettres, lui, quoi qu’il fasse, si haut qu’il aille, si patient que soit son labeur,… on ne songe pas même qu’il a besoin d’être soutenu aussi dans le sens de sa vocation et que son état, peut-être aussi bon matériellement que les autres — du moins de notre temps, — doit avoir des commencements aussi rudes. Je comprends tout ce qu’il peut y avoir de déceptions, de craintes et sans doute de tendresse froissée dans le cœur d’un père ou d’une mère ; mais, hélas ! l’histoire éternelle de ces sortes de situations, consignées dans toutes les biographies possibles, ne devrait-elle pas montrer qu’il existe une destinée qui ne peut être vaincue ? Il faudrait donc, après une épreuve suffisante, après la conviction acquise d’une aptitude vraie, en prendre son parti des deux parts et rentrer dans les relations habituelles, dans la confiante et sympathique amitié qui règne d’ordinaire entre pères et enfants déjà avancés dans la vie… Si, depuis quatre ans, je n’avais su que tu avais besoin de ne faire aucune dépense excessive, certainement il y aurait eu des instants où une aide très légère m’aurait fait gagner beaucoup de temps. Le travail littéraire se compose de deux choses : cette besogne des journaux qui fait vivre fort bien et qui donne une position fixe à tous ceux qui la suivent assidûment, mais qui ne