Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/288

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conduit malheureusement ni plus haut ni plus loin. Puis, le livre, le théâtre, les études artistiques, choses lentes, difficiles, qui ont besoin toujours de travaux préliminaires fort longs et de certaines époques de recueillement et de labeur sans fruit ; mais aussi, là est l’avenir, l’agrandissement, la vieillesse heureuse et honorée. »

C’était en vue de « l’agrandissement » qu’il sollicitait un prêt de cinq cents francs, à rembourser par petites sommes. Son père se laissa toucher. Cependant il ne se consolait point d’avoir engendré un poète. Il avait là-dessus les sentiments qu’un autre poète a cru pouvoir prêter à tous les parents, sans distinction :


Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié.


M. Labrunie n’allait pas jusqu’à crisper ses poings. Il invitait même quelquefois son fils à dîner, mais il se refusait froidement à toute autre marque d’intérêt. Ni les témoignages incessants d’un respect qui ne se démentit jamais, ni ceux d’une affection timide et anxieuse de retour ne désarmèrent sa rancune. Peut-être lui était-elle commode pour justifier à ses propres yeux son indifférence égoïste, et ses procédés léonins dans les questions d’argent. Gérard de Nerval fut ainsi poussé par les épaules dans le camp romantique, où étaient toutes ses amitiés. Au fond, rien ne convenait moins à sa nature d’esprit que le mouvement littéraire des cénacles, mais son cœur y trouvait son compte, et c’était l’essentiel ; il y avait toujours moyen de s’arranger avec une école ayant pour devise : « La liberté dans l’art. »

Quant à la pauvreté qui allait être son lot, peut-être