Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/85

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mère l’absoudrait avec transport si elle pouvait se représenter, l’espace d’une demi-minute, ce qu’il avait souffert dans les derniers mois, par quels accès de désespoir il était passé, par quelles crises douloureuses, physiques aussi bien que morales. Mais où trouver des mots pour émouvoir cette statue, pour expliquer à cette incarnation de la règle et des convenances qu’il y a des cas où il faut sauter par la fenêtre si la porte est fermée ? Les paroles expiraient sur ses lèvres. Il en sentait l’inutilité et courbait la tête devant « l’Incommunicable », auteur mystérieux et ignoré d’un nombre effroyable de malentendus sans remèdes. C’est lui qui rend les enfants étrangers aux parents, qui dresse des murailles entre les âmes et les cœurs des époux. « S’il y a dans ce monde, écrivait Quincey dix-neuf ans après, un mal pour lequel il ne soit pas de soulagement, c’est ce poids sur le cœur qui vient de l’Incommunicable. Qu’il paraisse un nouveau sphinx, proposant une autre énigme à l’homme, lui disant : « Quel est le seul fardeau trop lourd pour l’âme humaine ? je lui répondrai sans hésitation : « C’est le fardeau de l’Incommunicable. » Un dernier effort pour articuler au moins une parole ne produisit qu’un soupir, et il renonça : à quoi bon, puisqu’elle ne comprendrait pas[1] ?

La pension de Manchester lui avait fait un mal sans remède. Un milieu par trop antipathique, l’excès d’ennui et de découragement joint à une privation absolue, contre nature, d’air et d’exercice, avaient développé les germes de bizarrerie qui sommeillaient dans cet adolescent trop intellectuel. Ils éclatèrent bientôt à tous les yeux et décidèrent de son avenir. Au sortir de la maison maternelle, Quincey était allé

  1. Confessions of an English Opium-Eater.