Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/86

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vaguer dans le pays de Galles. Il s’y livra à des excentricités de collégien mal équilibré. Le jour, il cherchait des baies sauvages pour sa nourriture. Le soir, il campait sous une tente « pas plus grande qu’un parapluie », qu’il s’était fabriquée avec une canne et un morceau de toile à voile, ou bien il couchait complètement à la belle étoile, malgré la peur des vaches ; les montagnes étaient pleines de troupeaux, et il tremblait toute la nuit qu’une vache, soit curiosité, soit malveillance, ne profitât de son sommeil « pour poser une patte juste au milieu de sa figure », où elle « enfoncerait ». Ce malheur n’arriva pas, mais il aurait pu arriver, et Quincey n’en dormait pas.

Les auberges de la route lui servaient à mener à bonne fin une étude qu’il avait à cœur. Depuis longtemps déjà, il tenait en singulière estime l’art de la conversation ; c’est à lui qu’on doit cet aphorisme : « Une nation n’est vraiment civilisée que lorsqu’elle a un repas où l’on cause. » Les jours de pluie furent donnés au difficile apprentissage de la conversation générale, la seule qu’il admît et recherchât. Cet étrange petit bonhomme s’exerçait méthodiquement à entraîner les tablées de rencontre des auberges dans des discussions à la du Deffand, et le procédé n’était pas tant sot, puisqu’il a fait de son auteur, d’un avis unanime, le plus merveilleux causeur de son pays et de son temps.

Sa famille ne savait ce qu’il était devenu ; il n’écrivait plus, de peur d’être poursuivi par ses tuteurs. L’hiver le trouva le gousset vide et le ventre creux. En cette extrémité, il résolut d’escompter l’avenir et de recourir à un usurier. De bonnes gens lui prêtèrent un peu d’argent pour la route, et le voilà parti pour Londres, le voilà à Londres. Les pages où il a conté son expédition sont célèbres ; l’épisode d’Anne, l’héroïne