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STUREL CHEZ LE SYNDIC DES MÉCONTENTS

que son œil bleu rapidement estime leur degré d’énergie. Cet œil bleu, à qui l’habitude des ovations a donné, comme il arrive toujours, quelque, chose de voilé, de défensif, c’est pourtant un joli œil de Breton casse-cou et rêveur, et ce visage qui, dans l’exil et les calculs de Clermont, a pris une expression dure, respire naturellement la camaraderie la plus aimable.

À ses côtés, heureux de montrer aux troupes quel amour il leur inspire, voilà le vieux Naquet, le jeune Laguerre : les véritables césariens, les légistes prêts  à justifier et à organiser les pouvoirs que la démocratie remettra à son favori. — En latin, César, de cœdere, couper, fut d’abord le surnom des enfants que l’on tirait du sein de leur mère par une incision, dite « césarienne ». — Pour extraire de la démocratie un homme et le porter à l’empire, il faut, avec des formules de droit, un fer audacieux. Un Sturel ne se choque pas de distinguer, éparse dans cette foule, la bande de Catilina.

Boulanger, après dix secondes, le temps d’électriser cette antichambre, serre trente mains, les plus proches, sur deux cents qui se tendent, et va rentrer, mais Renaudin fend cette clientèle :

— Mon Général ! (et plus bas) Suret-Lefort nous amène un délégué du Quartier latin, où il faut réagir contre l’influence du Tonkinois…

— Je sais, dit Boulanger ; qu’il entre.

Si Sturel est ému, ce n’est pas d’aborder Boulanger, car il connaît sa place : celle d’un partisan, fier de servir ; et, dans une même espèce, le besoin qu’on a les uns des autres fixe, justifie, et honore tous les rangs. Ce qui l’énerve jusqu’à le pâlir un