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L’APPEL AU SOLDAT

se dit-il, celle qui aime ainsi, et comme on serait heureux d’avoir envie de mourir pour une pareille maîtresse ! ».

Sturel reproche aux femmes de ne pas le dominer assez fortement : la saveur de l’amour ne lui semble pas déplaisante, certes, mais trop faible. Dans ses aventures, il conserve intacte sa vraie sensibilité que nulle n’a touchée à fond. Thérèse devine n’être pour lui que le plus joli des objets. Sans doute, elle connaît dans ses bras toute la suite des phénomènes que déterminent des lèvres passionnées, mais de ce composé impur, loin de se satisfaire, elle se trouve inquiète et même diminuée. Ce qu’il y a d’énergie dans son jeune corps l’emporte d’abord sur les protestations de sa délicatesse ; quand l’étreinte de son amant se délie, le tumulte de son cœur est plus fait des mouvements de son âme peinée que de son tempérament : elle sanglote.

Cependant, à les voir du dehors, si jeunes, si beaux, heureux de santé, de luxe et de succès parisiens, et qui vont passer la soirée dans le monde (où déjà l’on sait qu’il ne faut pas les séparer), Rœmerspacher prend une idée triste de son isolement. Ce laborieux doute maintenant qu’on puisse se placer en dehors de toute vie affective. De la rue de Prony jusqu’à la rive gauche, ce jour-là, Suret-Lefort l’accompagne et le détourne de ses rêveries. Il le questionne avec l’obstination d’un homme d’affaires à s’entourer de tous les renseignements.

— Alors, Rœmerspacher, tu ne crois pas au succès de Boulanger ?

C’est une grande marque de confiance dans l’autorité, dans la virilité de son camarade que donne