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UNE SURPRISE DE PREMIER AVRIL

nistère. « Il est plus malin qu’eux tous, » disent-ils.

Pour chaque nouveau venu il reprenait son raisonnement et se prêtait à ce qu’on prit des notes. Renaudin organisait à haute voix une expédition vers certaine maison dont le concierge venait de lui donner l’adresse.

Avec son cynisme absolu où l’on doit souvent reconnaître l’expression crapuleuse d’une magnifique clairvoyance, cet abominable garçon faisait l’admiration et la vie de ce monde de politiciens. Habitués par nécessité professionnelle à ne tenir compte que des réalités, à se mouvoir dans l’ordre des faits, ils s’embarrassaient pourtant, à cause de leur médiocre éducation et non par élévation, du vieux langage idéaliste des réunions publiques. Mais lui, formé tout jeune dans les bas-fonds des journaux et nullement orateur, il possédait plutôt un vocabulaire positif. Et cela les mettait merveilleusement à l’aise, ces hommes graves, quelques-uns célèbres, d’entendre ce digne fils surgi de leurs âmes infectes discuter avec la compétence d’un sportsman, avec la grossièreté d’un homme d’écurie et avec le point de vue d’un parieur les forces et les faiblesses du parti.

Séparé seulement par un étage de ce malheureux amant qui, après avoir reçu à dîner ses principaux lieutenants, passa la nuit à tenir la main de sa maîtresse terrassée par la fièvre, Renaudin disait :

— Ah ! si elle pouvait mourir !

Ce sont des cruautés domestiques ; Boulanger en subit de publiques. Tandis que l’antichambre ricane, le comité se concerte. Les lieutenants épouvantés, quand le triomphe s’offre, de voir leur chef