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UNE SURPRISE DE PREMIER AVRIL

Quand on embrasse la cause du peuple contre les oligarchies qui l’exploitent, ce n’est pas pour faire la fête, c’est pour partager avec l’éternelle victime qu’on défend le pain amer des exactions et des injustices. » On doit pourtant le remarquer, Boulanger entra dans les salons orléanistes, que ces termes si durs dénoncent, par une suite presque nécessaire de cette soirée où Thiébaud, sans apporter des moyens d’argent, persuada le commandant du 13e corps d’amorcer la série des plébiscites. Quelques centaines de mille francs bien administrés auraient dû suffire ? C’est une addition à discuter. Mais, saisissant pour s’évader de cette fortune aventurière l’instant où elle chancelle, Thiébaud parut habile et intéressé, lui qui se sacrifiait maladroitement à un idéal ! Jeune journaliste, quand il se formait dans les Ardennes par la méditation des doctrines napoléoniennes, il n’avait pas à considérer les railleries des hobereaux et des importants de sous-préfectures que sa brillante supériorité déconcertait ; c’est ainsi qu’il prit l’habitude de vouloir plier la vie sur ses fortes imaginations politiques. Ne reconnaissant plus le César qu’il avait rêvé de mener, il dédaigna d’utiliser au mieux l’homme et les circonstances, et, comme tout apôtre mécontent, il se glorifia d’être schismatique.

Les boulangistes devaient imiter Thiébaud ou le tuer. Avec une décision égale à la sienne, tous se dressèrent pour lui infliger un traitement plus injuste encore que son invective à Boulanger. À grands cris, Renaudin jura l’avoir vu, de ses yeux vu, inscrit sur les livres de la police.

Suret-Lefort, qui n’appartenait pas au monde du