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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

Argonne. Tandis que le train cheminait doucement, vers les quatre heures de l’après-midi, à travers ces fertiles vallons, il était frappé de voir que tous les voyageurs se connaissaient et il méditait sur les avantages qu’il y a dans de telles conditions à être honorable. Ces profondes campagnes du Barrois interposaient un siècle au moins entre Sturel et Paris ! Sortant d’un caravansérail de peuples, le jeune homme sentait d’autant mieux l’uniformité ethnique de la région où il pénétrait, et, derrière la vitre de son wagon, il percevait son propre isolement avec une intensité de mélancolie qui, chez ce nerveux, allait souvent jusqu’à l’angoisse. Avec quel plaisir, sur le quai de Clermont, il aperçut Saint-Phlin toujours blond, toujours se mordant les ongles, mais avec une figure que les années avaient faite plus grave. Les deux amis se serraient les mains et s ’examinaient sans pouvoir retenir un sourire de plaisir.

— Tu as ta bicyclette ? demandait aussitôt Saint-Phlin.

Et tandis qu’on la plaçait sur la voiture, il refusait d’expliquer l’excursion projetée.

— Tu ne comprendrais pas… La maison, le parc vont te préparer.

On traversa de belles cultures et bientôt d’importants bâtiments apparurent. Du fond de l’avenue où l’on s’engagea sur un sol déchaussé, des chiens accoururent fêter les chevaux, les voyageurs, et Sturel vit que son ami était aimé.

Depuis deux ans Saint-Phlin avait perdu son père, le colonel, et il habitait seul avec sa grand’mère.