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L’APPEL AU SOLDAT

Insensiblement, elle le dressait à devenir le maître dans ce petit centre de vie organisé par leurs aïeux qui tous s’y étaient satisfaits. Les Gallant occupaient le château et la ferme, au lieu dit Saint-Phlin, depuis 1780, et, selon une coutume assez répandue, ils en portaient le nom que le colonel croyait en toute bonne foi tenir des anciens ducs.

La vieille dame était installée dans un verger en pente, sur le côté de la maison. Elle accueillit Sturel avec bienveillance, mais en se réservant la possibilité d’être plus aimable à mesure qu’elle l’apprécierait. Elle lui parla de l’amitié qu’il inspirait à Henri, s’informa de la santé de sa mère, et puis elle faisait signe à un cultivateur rentrant à la ferme et le questionnait sur l’état des champs, sur le travail de la journée. Des poules, des canards s’avançaient jusqu’au petit cercle, épouvantés parfois par les chiens qui faisaient mine de les poursuivre. Ce grand air, baignant de quiétude au coucher du jour un vaste horizon, n’est jamais si délicieux qu’à celui qui sort des villes.

— Comme Henri fut raisonnable de ne pas céder à Bouteiller qui voulait le faire entrer à Saint-Cyr ! s’écria Sturel.

Par ce mot, il commença la conquête de Mme  Gallant qui, sur un renseignement de son petit-fils, le croyait irréligieux. Ce soir-là, envahi par une paix profonde, Sturel comprenait les harmonies de cette prairie, de ce ciel doux, de ces paysans, de son ami, de cette aïeule attentive à surveiller un étranger. Il les effleurait tous d’une pensée, il recevait de chacun une impression, et il regrettait d’avoir distrait sa mère de leur milieu naturel pour se perdre avec elle