Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
L’APPEL AU SOLDAT

pour emporter des feuillets détachés. Vous savez, monsieur Sturel, qu’il veut vous tenir une semaine sur ces dangereuses machines…

— Maman, maman, interrompit Saint-Phlin, je vous en prie, taisez-vous ! il faut d’abord laisser notre pays agir.

La cloche du souper, qui est le repas de sept heures, sonna le premier coup. On contourna la maison en faisant quelque cent mètres dans le parc où des chênes feutrent le sol et donnent au ciel un caractère sublime. Sturel donnait le bras à la vieille dame, contente que l’ami de son petit-fils fût de belle taille et de bonne manière. Maintenant, la maison se présentait de face avec ses deux ailes. Très vaste et la plus simple du monde, elle montrait une dignité familière ; aucun luxe, rien de laid, et son âge l’ennoblissait. En montant une seule marche basse, par deux larges portes-fenêtres, les trois personnes passèrent du parc dans la salle à manger.

Sur un compliment bien sincère de Sturel, qui, avant de s’asseoir, regardait l’immense paysage tout d’arbres et de prairies, sans une maison bâtie, Saint-Phlin disait naïvement :

— Quel malheur que je ne sois pas un étranger qui voit cela pour la première fois !

Son contentement de posséder son ami à sa table de famille se traduisait par des récits d’incidents passés où il lui donnait un si beau rôle que le domestique, derrière ses assiettes, en était émerveillé. Il le questionnait sur Neufchâteau (Vosges) et n’écoutait pas les réponses.

— Tu as préféré Paris à ta ville de naissance ! Moi, nulle part autant qu’ici je ne pourrais trouver une