Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
263
LA VALLÉE DE LA MOSELLE

dans le tumulte aride de Paris. S’il avait pu, dans cette minute, rendre intelligible son état, Mme Gallant de Saint-Phlin se fût écriée : « Mais voilà ce que j’appelle la religion ! »

— Ce qu’il y a de puissant ici, disait Sturel, c’est que l’on sent les siècles, la continuité de volonté qu’il a fallu pour créer ce paysage. Il est fait de cette vieille maison, belle parce que ses greniers, ses écuries, sa ferme sont parfaitement appropriés ; de cette prairie où paissent ces vaches ; de ces fleurs dans le verger où bourdonnent les abeilles ; de la marche lasse et satisfaite des serviteurs qui reviennent des champs ; le silence qui l’enveloppe éveille des idées de contentement et de repos, non d’isolement et de crainte ; mais surtout, c’est un domaine patrimonial : on y jouit, comme d’une beauté sensible, des habitudes accumulées.

— Ah ! s’écria Saint-Phlin, j’attendais de toi cette remarque. Des habitudes accumulées ! Comprends-tu maintenant que je ne puisse pas vivre à Paris ?

— Monsieur Sturel, ce grand garçon refuse de se marier ! Ah ! si vous vouliez le convaincre !

Saint-Phlin embrassa sur le front sa grand’mère et lui affirma qu’elle devait rentrer à cause de la fraîcheur. Tout au plaisir de tenir chez soi son ami, il ne pouvait pas rester en place. Mme Gallant, à la manière lorraine, mêlait des railleries à son admiration pour cette surabondance de vie.

— Depuis qu’il a reçu votre lettre, il combine ce qu’il vous montrera. Il a tracé un vrai programme avec des jours, des heures, comme un évêque pour ses tournées de confirmation. Il a saccagé ses livres