Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
L’APPEL AU SOLDAT

sique, cependant il portait les marques d’une société dont ses ancêtres (plus humblement toutefois qu’il ne croyait) avaient partagé les fortunes. Chaque jour il prenait mieux connaissance de sa formation. Il étudiait avec soin les lieux, les habitudes et même les produits naturels ; par là, il devenait l’un de ces êtres avec qui c’est délicieux de sortir le matin dans la campagne, parce que les cultures et les forêts brillantes de rosée, les vapeurs sur les rais de terre forment un horizon philosophique où leurs propos prennent une pleine valeur, et l’on goûte avec eux le suprême plaisir d’analyser des détails sans perdre de vue la vérité d’ensemble.

Au début d’une divine journée et avec une merveilleuse impression d’amitié et d’allégresse, les deux jeunes gens allèrent s’asseoir aux limites du parc, sur un banc ombragé et devant un vaste espace de pâturages. Ils jouirent de la beauté du soleil, quand il s’avance sur les prairies humides et qu’une vapeur confuse flotte dans l’air au-dessus de ce miroitement enivrant de jeunesse et de grâce.

— Ce village-là, disait Saint-Phlin, à une question de Sturel, c’est Varennes, oui, le Varennes où Louis XVI fut arrêté. Sur cette route, qui vient de l’ouest, dans la nuit du 22 juin 1791, la lourde calèche, écrasée de malles, roulait lentement, avec ses six chevaux et ses postillons, à sa perte. En bicyclette, j’ai voulu repasser par leurs étapes depuis Paris ; chacune fit pour moi le drame plus clair. Jusqu’à Châlons, tout dépendait du secret et de la célérité : on n’avait pas osé disposer des relais de troupes. M. de Choiseul attendait à quelques kilomètres au delà, à Pont-Sommerville, avec mission