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L’APPEL AU SOLDAT

mille contributions empressées. Au pied des ballons, les maisons éparses n’ouvrent que des petits yeux, des fenêtres étroites à cause du froid ; courbées, peureuses, abritées sous leurs longs toits qui montent si haut et descendent presque à terre, elles semblent toujours songer aux écrasantes charges de l’hiver. Le torrent, tout prêt à être maté, leur offre sa force motrice ; les bois attendent qu’elles les débitent.

La physionomie d’un paysage peut donner au passant les plus vives jouissances, mais combien le plaisir augmente d’intensité à mesure que nous savons saisir les liens intimes qui, dans une zone donnée, unissent le caractère de la nature au développement de la civilisation ! Dans la plaine lorraine, la plupart des villages existaient aux lieux qu’ils occupent dès la période gallo-romaine, mais dans ce haut pays granitique les corps de communauté ne s’organisèrent que récemment et par la volonté administrative. Ces terribles forêts de « La Vosge », domptées une première fois par une route des Romains qui disparut avec leur puissance, supportèrent ensuite dans quelques vallées des monastères qui exploitaient un cercle assez étroit de défrichement ; puis des émigrants de la plaine remontant la rivière qui fut la grande voie civilisatrice, du treizième au seizième siècle, commencèrent de coloniser. Les mœurs, les besoins, les tendances sociales qui naissent dans les industries qu’animent la Moselle et ses affluents, ne sont pas contrariés par des coutumes opiniâtres. De toute la Lorraine, cette population qui n’a que des habitudes de trois ou quatre siècles est assurément la moins conservatrice ; elle a l’esprit radical. Bien plus aisément que les agriculteurs