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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

puis au cours des guerres impériales et républicaines, où les Lorrains fournirent les plus gros contingents et soixante mille cadavres sur un ossuaire d’un million et demi de Français. En 1814, Blucher afficha sur les murs de Nancy : « Puissé-je ramener pour vous le bon vieux temps dont jouiront vos ancêtres sous le gouvernement doux et paternel de vos anciens ducs ! » On ne le comprenait plus. Quelque sentiment de la nationalité lorraine a survécu dans le fond des indigènes ; elle s’est témoignée académiquement vers la fin du second Empire dans les doctrines décentralisatrices de l’École de Nancy : c’est elle encore qui fait l’indignation de Saint-Phlin :

— Quel gâchage ! s’écrie-t-il ; on nous a toujours contraints à laisser reposer nos espérances propres. Le transport des pouvoirs lorrains dans les bureaux de Paris a ruiné notre développement autonome, et n’atténue même point le danger qu’a toujours présenté pour la paix européenne la situation géographique de la Lorraine : une fois de plus, en 1870, nous avons fait les frais d’une guerre entre la France et l’Allemagne. Boulanger, qui jette un appel à notre engourdissement, comprendra-t-il toute sa tâche ? Saura-t-il restituer au vieux duché la force d’apporter dans l’illumination française sa lumière particulière ?

Sturel, songeur, entrevit le grand rôle que son ami proposait au Général. Le chef national perçait sous le soldat populaire.

Ils atteignaient sur la rive droite, immédiatement au-dessous de Charmes, le village de Chamagne, où une inscription désigne la maison chétive, encore intacte, qui vit naître en 1600 Claude Gelée.