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L’APPEL AU SOLDAT

tant le travail français… Rendons-nous compte de l’effet que produit dans une très petite ville, dans un Charmes, un branchage des notables. C’est une terreur mêlée d’âpre ressentiment : on obéit au vainqueur de fait, en même temps que les cœurs appellent le chef de droit. S’il ne peut intervenir, il faut bien s’accommoder de l’événement. La disparition des notables affaiblit immédiatement la nationalité et, par suite, favorisa la substitution de l’idéal français au lorrain. Quand la Lorraine, après les horreurs — guerre, peste, disette, massacres, incendies, exactions — du long règne de Charles IV (1624-1675), voulut se refaire, elle avait perdu 300,000 habitants sur 400,000 et probablement les plus énergiques. Elle retrouva son territoire, mais non pas son âme. On dut importer des cultivateurs. Le duc Léopold, pour refaire le duché, substitua aux constitutions lorraines une compilation des ordonnances de Louis XIV : c’était enlever à la Lorraine sa cérébralité propre. Sa maison ducale allait aussi lui manquer. François III troqua son duché contre un équivalent avantageux, et, traître à son peuple, sans plus de scrupule qu’un propriétaire vendant un domaine, s’installa en Toscane, puis au trône d Autriche. Déjà les idées françaises gouvernaient ; les agents français vinrent administrer sous Stanislas. L’année 1766 vit les dernières formalités de l’annexion.

Saint-Phlin pourrait ajouter que les idées nationales tentèrent de se ranimer de 1786 à 1789 : cette petite nation mal renseignée espéra un gouvernement indigène, par une assemblée provinciale. L’union morale se fit grâce aux avantages matériels procurés aux paysans et aux bourgeois par la Révolution et