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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

— À quoi bon pédaler si vite ? dit Saint-Phlin, quand ils eurent atteint Remich. Asseyons-nous en plein air ; la vallée est large, le soleil tempéré, il y a des groupes d’arbres épars sur des villages dans les fonds, de vastes espaces en culture ; vivons dans la minute présente et prenons conscience de notre santé et de la santé des êtres.

Sturel remarqua, pour la première fois avec précision, ce que le visage de son ami, autrefois nerveux et mobile, avait pris de calme et de force. Et, sous cette influence, il s’appliqua, lui aussi, à se mettre tout dans le moment présent et à savourer parmi ces trésors éparpillés le goût de la vie.

Ainsi passèrent-ils un long temps sur le pont à péage qui relie Remich à Nennig. Non pas que le spectacle ait rien de surprenant, mais cette grande prairie, ces nombreux villages heureux, ces vaches qui paissent, ces barques au port fortifient les yeux et l’âme. Un tel paysage, c’est une bonne leçon d’art, car rien n’y figure dont on ne discerne la nécessité, et la beauté sûre qui s’en dégage est faite du rapport d’utilité où vivent, depuis une longue suite d’années, tous ces objets, que l’œil simultanément embrasse.

À mesure que par la réflexion ils comprenaient mieux la Moselle, ils l’aimaient davantage. Quelle variété dans son décor ! que de climats politiques et sociaux ! Le vieux duché de Lorraine, puis le tragique pays messin et, pour leur faire suite, un troisième terrain où le flot français à plusieurs reprises séjourna et dont il ne baigne même plus les limites. Que ces régions placides, pourvu qu’on les laisse reposer, soient belles sous tous les vainqueurs, voilà une