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L’APPEL AU SOLDAT

gagne de solidité, d’intelligence impersonnelle. C’est le plaisir de sortir de soi. Je sens mon visage perdre toute jeunesse, gagner de la gravité, comme si je savais commander à des hommes.

« Au sortir d’Italie, tu déclarerais immondes les brasseries où ces étudiants se plaisent et dans lesquelles le propriétaire maintient volontairement la saleté pour que les consommateurs se sentent bien à leur aise. C’est entendu : à l’exception de quelques têtes qui font sommet, cette masse allemande n’a pas l’imagination délicate ni le goût noble. D’autre part, tu serais tenté de me dire avec les écrivains français que l’âge d’or allemand se termina en 1847 et qu’on descendit rapidement en plein âge de fer, pour atteindre en 1870 le bas de la pente. Pour moi qui débarque de France dans une Université, l’Allemagne intellectuelle, c’est le bloc de ses poètes, philosophes, historiens et hommes d’État depuis un siècle. Ce serait puéril d’admettre que le fil de son développement cassa vers 1870. Par des effets d’un ordre différent, elle manifeste la même tradition. L’admirable branchage philosophique, historique, juridique issu du tronc hégélien est encore plein de sève.

« Te représentes-tu ces jeunes gens, au milieu de qui je vis ? Âgés de vingt-quatre à vingt-huit ans, déjà des travailleurs éprouvés, avec de la droiture et du sérieux dans l’effort, ils semblent des internes en histoire. Les mieux doués eux-mêmes ne se préoccupent pas, comme ce serait chez nous, d’inventer chacun leur système ; on ne les a pas dressés à soutenir indéfiniment, avec la logique la plus irréprochable, les choses les plus absurdes ; ils cherchent