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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

à pied d’oeuvre, et si telle question dans son état actuel demeure en suspens, ils marquent le point d’interrogation. Quand ils ont délimité une lacune et bien fait voir l’ignorance où l’on est, ils pensent n’avoir jamais mieux prouvé leur vraie qualité de savants.

« Le pédantisme germanique, très visible dans certaines formes, n’atteint pas le fond. Notre professeur, deux fois par semaine, nous reçoit chez lui. On cause sans cliquetis de mots. « Voilà, nous dit-il, jusqu’où l’on a mené telle question. Elle est abandonnée depuis tant d’années, parce que sur tel point on perdait pied. Voyez si dans l’état de la science on pourrait avancer d’un pas. Examinez si de nouveaux documents ont été mis à jour, si le sens et la crédibilité des anciens peuvent être fixés avec plus de certitude. Travaillez, et dans trois semaines, vous m’en parlerez. » Au jour dit, l’élève énonce ses résultats, sur le ton libre de la conversation. Le professeur, qui a rassemblé ses notes, réplique : « Ceci est très bien, mais vous ne tenez pas compte de cette objection, vous n’avez pas consulté ce récent catalogue. » De telles séances, où tout est familier, sont magnifiques de liberté et de méthode. C’est le fin du fin de la science. On arrive aux points extrêmes, à l’instant où la respiration s’arrête. Nous faisons là de la grande psychologie. Voir un homme absolument désintéressé qui ramasse tous les documents, contrôle leur authenticité, pèse leur poids moral et, de tâtonnement en tâtonnement, circonscrit toujours son enquête jusqu’à toucher enfin, par la plus délicate approximation, le point névralgique ! Ah ! tu ne sais pas ce que j’y