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BOULANGER DEVANT SON DÉSASTRE

invitation du Général, qui voulait bien me présenter à Madame de Bonnemains.

La mystérieuse amie du Général félicita le jeune député sur son élection. Il démêla qu’elle ne confondait pas, comme ils faisaient tous, son attachement pour Boulanger avec ses vœux pour le parti. Elle exprima le désir de le revoir un jour prochain chez le Général, mais ajouta :

— Je vous préviens, monsieur, qu’ici nous nous entendons pour ne pas lui parler politique.

Elle eut une quinte de toux, appuya son mouchoir sur ses lèvres et, sans s’attarder davantage, monta l’escalier avec des mouvements aussi secs que son accueil avait été mollement gracieux.

— Quelle femme intéressante ! dit Sturel, charmé de la séduction et de la volonté qu’il entrevoyait unies dans cette maîtresse autour de qui son imagination se plaisait.

Le secrétaire ne cacha pas une véritable haine pour Mme de Bonnemains, allant jusqu’à l’accuser d’être venue au ministère de la Guerre auprès de Boulanger pour le compte d’un grand pays étranger.

Le jeune homme comprit quelle lutte d’influences domestiques se livrait autour du chef, et, sans y attacher une importance politique, il ne mit pas en doute l’influence décisive de cette grande amoureuse sur un soldat malheureux.

En vain interdit-elle qu’on parle des journaux, du Comité, du ministère ! Ce sont de courts répits qu’habile ou passionnée elle ménage à son amant. Il ne peut pas fermer sa porte aux innombrables messagers du désastre. Tout le jour, les consolations et les récriminations, les demandes d’argent et les