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L’APPEL AU SOLDAT

« Il apparut sans splendeur dans un ciel à bandes sombres. Aussitôt mes compagnons, en me plaisantant sur mon sommeil, vinrent frapper à ma porte pour que nous assistions à la déroute des sorciers. Dans un jour encore incertain, parmi les blocs de granit qui parsèment ce sommet, nous nous orientâmes à la recherche du « spectre du Brocken ». Le guide nous cria de lever les yeux. Une figure immense apparaissait dans les nuages. Les Allemands poussèrent de longs cris en débouchant les bouteilles qu’un paysan portait à notre suite.

« Certes, chacun savait bien qu’il voyait, par un jeu naturel d’optique, le reflet agrandi d’une personne placée au point voulu. Mais il leur plaisait de se prêter à la légende. Ils burent au génie du Hartz, à la grande Allemagne, à la race allemande maîtresse du monde.

« Leurs clameurs semblèrent fendre les nuages, qui s’ouvrirent comme un rideau. Soudain nous dominions de cinq cents mètres le plateau et en général tous les sommets. Nous vîmes l’armée des arbres s’élever de la plaine pour couvrir de ses masses sombres et égales les puissants vallons, les longues courbes des montagnes. Ce qu’il y avait de plus beau, c’étaient les masses immenses d’air, les espaces atmosphériques que la tempête remuait autour de notre Brocken. Les nuages circulaient rapidement à notre hauteur, pareils à une flotte que depuis un promontoire nous aurions vu défiler. Par brefs intervalles apparaissait la plaine, avec ses verts et ses jaunes variés, ses rares bouquets d’arbres, ses petits villages lassés, et le guide se désespérait que le temps ne permît pas de distinguer Magdebourg, Leipzig,