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L’APPEL AU SOLDAT

près des bureaux de Paris. Quand Sturel lui reprocha, un peu trop nerveusement, d’abandonner la conception régionaliste, il répondit avec tranquillité. Il vivait, comme Rœmerspacher, une vie monotone qui permettait à son esprit de se régler.

— Pourquoi veux-tu, disait-il, attacher, envers et contre tout, nos chances à un homme perdu ? Nous trouverons un meilleur moyen de nous compter.

— Ce pauvre Boulanger, ajouta Nelles, dire que nous l’avons reçu dans cette salle à manger ! Que c’est loin ! mon brave Sturel, laissez-le boire en paix le cidre de Sainte-Brelade.

Il invita ses hôtes à goûter d’un vin qu’on venait de servir. On aurait pu entendre les coups de pied que Sturel donnait dans la table. Le jeune homme interprétait comme une preuve de l’ignominie humaine le discrédit où l’insuccès précipitait Boulanger et qui rejaillissait sur lui. Il croyait, en démissionnant, agir avec plus de noblesse que ses amis, et vraiment, Mmes  de Nelles et de Saint-Phlin, en qualité de femmes, auraient bien pu avouer une faiblesse pour les vaincus.

Déjà agacée que Sturel tînt tête à son mari, car les femmes compliquent toujours d’un froissement d’amour-propre une divergence d’idées, la jeune Mme  de Saint-Phlin jugea bientôt impertinent qu’il soutînt devant elle un homme marié assez immoral pour vivre avec une divorcée. Et tous surent mauvais gré au boulangiste de contrarier cette petite femme qu’ils regardaient avec amitié parce que, deux mois auparavant, elle était fille. Rœmerspacher, avec plus de justice, distingua que l’irritation de Sturel n’avait pas de cause basse.