Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
490
L’APPEL AU SOLDAT

pour le train de Granville. Pourquoi décrire le trouble que lui donnait la douleur de sa maîtresse ? Benjamin Constant, avec une force qui nous dispense de redoubler, analysa jadis le mal que les cœurs arides éprouvent des souffrances qu’ils causent. Sturel n’était pas précisément aride, mais il produisait ce semestre-là autre chose que des fleurs pour femmes.

Sa puissance de sympathie avait été certainement développée par l’élargissement du boulangisme : il s’était associé à ce mouvement national : maintenant, avec lui, il se rétractait. Son effusion privée allait d’accord avec l’effusion publique, et, dans ce resserrement de son parti, il devenait âpre, pauvre et fermé,

Mme de Nelles le fatiguait avec ses exigences de délicate, quand tout allait si mal. S’il faut courir aux pompes, protéger le bateau, peut-on s’attarder à des misères individuelles, fût-ce à soigner la plus aimable des passagères de première classe ?

Il tombait dans la même frénésie que ses collègues du Comité se brouillant les uns avec les autres, avec Boulanger, avec les électeurs et avec leur propre passé. Depuis longtemps il s’éloignait de Renaudin et de Suret-Lefort ; il se figura qu’il s’allégeait en se détachant même des Saint-Phlin et des Rœmerspacher. Auprès de Thérèse de Nelles, en toute circonstance il aurait trouvé un concours illimité. Pourtant il n’hésita point à la sacrifier. Voilà une conséquence de son esprit imaginatif. Dès sa petite enfance, il avait eu cette délicatesse qui l’empêchait d’entrer dans les détails positifs et le maintenait dans ses constructions. Il croyait peu à la réalité de Thérèse de Nelles. Les problèmes qu’il se proposait et toutes ses chimères vivaient pour lui d’une façon