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LE BOULANGISME ET STUREL SE RESSERRENT

plus certaine que cette jeune femme. S’il existe une réversibilité, il est voué au malheur, à l’isolement. Et voici en effet qu’il commence à ne plus se plaire avec les individus. Il concentre toute sa force pour maintenir un rêve boulangiste demi dissipé. Comme cet entêtement ne va point sans sacrifice et lui donne une certaine émotion, il le suppose fécond.

Tout à ce vague, il navigue vers Jersey sans arrêter ce qu’il dira au chef : « Auprès de lui, pense-t-il, je laisserai couler librement et sans scrupule les grandes idées qui vivent en moi. »

Sur le bateau, comme il s’informait de la distance du port à Sainte-Brelade, certains passagers ricanèrent du Général. À l’insuccès de la leçon qu’il prétendit leur donner, il reconnut que les injures de la presse gouvernementale faisaient maintenant l’opinion. Cette défaveur ne pouvait modifier ses projets, nés d’un état d’esprit plus poétique que politique ; mais elle l’enivra de tristesse, car jamais, dans ses précédents voyages avec le Comité, il n’avait si fort compris qu’il posait toute sa mise sur un homme.

Vers cinq heures du matin, monté sur le pont et se laissant battre par le grand vent, il s’efforça de se dégager des pénibles impressions que lui donnait cette mer tumultueuse où le creux des vagues écumantes gardait encore de la nuit. Il parvint à la longue à dérouler en lui de magnifiques espoirs, que prolongea bientôt le spectacle de l’aube, dégageant les découpures noirâtres et pittoresques des îles Chausey et puis, après un temps de ciel et d’eau, révélant là-bas les collines de Saint-Hélier.