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« LAISSEZ BÊLER LE MOUTON »

l’indigence de la pensée politique en France et de rendre intelligible à tous la nécessité, dans l’état des choses, d’un expédient autoritaire. »

Il sonna, et sur le fronton de la grille, il lisait cette devise : « Il n’est rose sans épine, » quand le Général parut. Toujours de carrure solide et de tenue élégante, coiffé d’un chapeau rond et un gros jonc à la main, il descendait à travers le jardin dont la pente aidait à comprendre ses jambes arquées de cavalier. C’est lui qui ouvrit à Sturel, et sans s’étonner, avec cette voix qui créait immédiatement la familiarité :

— Il fallait me prévenir. Je serais allé vous chercher au bateau. Renvoyez votre voiture : vous dînez avec nous.

Ils remontèrent de quelques pas dans le jardin.

— J’approuve, mon Général, vos paroles si fortes dans votre lettre de congé au Comité national : « Le triomphe, disiez-vous, il faut savoir l’attendre du temps et de la propagande des idées. » Disposez de moi pour cette grande tâche.

Tout de suite, Boulanger accusa ses anciens lieutenants. Sturel déplora « un malentendu passager », mais sous le regard subitement durci de son hôte :

— Mon Général, je ne me charge pas de les défendre. Je vous l’avoue, je garde dans mes yeux tant de scènes magnifiques où je les vis glorifier avec énergie votre cause ; cependant, je n’ai rien à cœur que votre popularité et le salut national.

Boulanger mit amicalement sa main sur l’épaule de Sturel :

— J’étais tranquille, je savais pouvoir compter sur vous comme vous pouvez compter sur moi. Ah ! si l’on avait composé tout le parti d’hommes nouveaux !