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« LAISSEZ BÊLER LE MOUTON »

— C’est un bijou, votre histoire, dit Nelles. En trente mots vous dépassez tout Mermeix qui tire un peu à la ligne. Le grand art, c’est de faire court. Vous permettez aux boulangistes de lâcher leur Boulange, et au gouvernement de le fusiller comme un lapin.

Quelqu’un les entendant, leur dit :

— Je croyais que vous aviez été boulangistes.

— Oh ! dit Nelles, nous ne cesserons jamais de réclamer qu’on lui rende ses décorations.

La joie de ces hommes d’esprit redoubla. Suret-Lefort, vivement attaqué par les boulangistes de la Meuse qu’il avait joués, poussa Renaudin à publier son histoire ; il lui promit qu’elle le réconcilierait avec Bouteiller ; il paraissait autorisé à faire savoir que c’était le désir de Constans.

Jamais on n’avait vu une liquidation plus abominable qu’à ce début d’octobre 1890. Polémiques, agressions, duels, procès-verbaux infamants empestaient les airs comme une vidange épouvantable des fosses politiques. La Visite de Boulanger à Prangins rapporta à Renaudin mille francs et ajouta encore un plein tonneau à cette peste. Le soir de sa publication, le reporter était attablé à une brasserie du carrefour de Châteaudun, quand Fanfournot, sur le trottoir, commença de l’interpeller. Il lui reprochait, à grands cris, d’avoir vécu de Boulanger et de le vendre. La foule ricanait et approuvait le jeune vengeur de la morale publique. Renaudin se réfugiait dans l’intérieur, mais un garçon de café s’écria :

— Est-ce qu’on ne devrait pas balayer cette ordure !

L’insulté assujettissait son monocle d’une main qui commençait à se troubler. Il chercha, pour se plaindre, le patron, qui répondit :