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AUTOUR DE LA GARE DE LYON

qu’elle s’accorde toujours avec son favori. Mais quelle mission lui confie-t-elle ?

Voici trois semaines d’un brillant extraordinaire. C’est l’apogée de cette jeune gloire, encore intacte à peu près de politique. De l’Hôtel du Louvre, qu’épient toutes les mouches de l’Elysée inquiet, chaque matin il monte à cheval, traverse les Champs-Elysées vers l’Étoile.

Déjà chevauche à son côté son énigmatique ami, ce comte Dillon, lourd, le regard voilé, à qui l’on attribue une immense fortune. Avenue du Bois, des officiers, à chaque pas, le rejoignent. Et, au retour, jusqu’à l’Étoile, derrière son cheval noir, galopent deux cents uniformes. Parmi eux, dit-on, des hommes de main, énergiques, d’exécution rapide. L’Élysée, qu’épouvante cette force de popularité, se réjouit de cet éclat : Grévy, le vieux légiste, avec ses grisâtres amis, exploite tous ces chatoiements de pronunciamiento sous le jeune soleil de mai. Galliffet le voyant passer allée des Acacia, s’exclame : « Comment ne l’exécrerais-je pas ? Il est ce que j’aurais voulu être. »

À la grande surprise des simples, Rouvier parvient à former un ministère sans Boulanger, et, pour tout dire, contre Boulanger. Que le Général sorte donc de cette atmosphère et fasse ses adieux à Paris. Que ces trois semaines, où il vit les parlementaires, sourds a l’acclamation de la rue, négocier, marchander et le vendre, n’influent pas fâcheusement sur son âme de soldat. Pour que son caractère demeure intact, que ne peut-il s’en aller, au Tonkin, par exemple, où il acquerrait des mérites nouveaux ? Enfin Rouvier lui assigne le commandement du 13e corps