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L’APPEL AU SOLDAT

à Clermont, et, d’après les journaux, il prendra le train de nuit, le 8 juillet.

Ce jour-là, par grand hasard, Sturel et Rœmerspacher doivent dîner avec leurs anciens camarades, le journaliste Renaudin et l’avocat Suret-Lefort, qui depuis l’exécution de Racadot et la disparition de Mouchefrin, font, avec Saint-Phlin, toute la survie du petit groupe issu de la classe de Bouteiller. Ils ont mis peu de hâte à reprendre des conversations dont ils craignent de n’avoir plus le fil. Un voyage de Saint-Phlin à Paris les a décidés.

Les deux jeunes gens, traversant vers sept heures du soir la place du Carrousel, entendirent une rumeur immense : rue de Rivoli, des milliers de personnes arrêtaient aux cris de : « Vive Boulanger ! » un omnibus ; le conducteur et les voyageurs, debout, leur faisaient écho. Cohue vaste et joyeuse qui attendait devant l’Hôtel du Louvre le départ du Général pour la gare de Lyon. Sturel et Rœmerspacher voyaient pour la première fois une de ces manifestations alors si fréquentes ; l’âme des foules immédiatement les posséda. Du Café de la Régence, où ils avaient rendez-vous à sept heures moins le quart, ils se réjouissaient parce que, de minute en minute, le flot des commis se hâtait après leur journée vers l’hôtel du Général. De loin, ils aperçurent Gallant de Saint-Phlin, qui avait un peu grossi. Il paraissait insensible à cette animation des rues, mais il boutonnait ses gants et regardait sa montre avec inquiétude, car c’était déjà sept heures moins dix. Il s’excusa sur ce retard. Quand il sut la cause de ce tumulte populaire, lui non plus ne put penser à rien d’autre. À