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L’APPEL AU SOLDAT

beau cheval noir ! mais le pauvre homme ne soupçonne pas ce que c’est de gouverner.

— Tout ce que vous me faites connaître, répondit Suret-Lefort, a pour moi beaucoup d’importance. Je crois bien distinguer que la popularité inexplicable de Boulanger peut faire un danger pour la République : aussi, je vous l’avoue, je ne sais pas blâmer ceux qui veulent le maintenir dans le lit républicain. C’est sans doute à ce sentiment de nous ménager une force qu’obéit M. Clemenceau en venant à la gare de Lyon.

— Il n’est pas venu.

— Je vous demande pardon, il doit être sur le quai. Une personne bien renseignée m’a affirmé qu’il viendrait.

— Il n’est pas venu ! répéta l’autoritaire Bouteiller. Clemenceau possède assez la tradition républicaine pour comprendre que le personnage qui se prête à ces manifestations est gâté : il faut sacrifier le membre qui pourrirait tout.

Le jeune radical, désorienté d’apprendre l’abstention de l’homme fort, déclara :

— Ne croyez pas que je sois disposé à aller contre le sentiment des chefs du parti. Ce me sera toujours une grande joie de combattre à vos côtés… Je dois vous dire que mes amis de la Meuse ont, à plusieurs reprises, entrevu de m’envoyer à la Chambre.

— Eh bien, c’est une idée à suivre. Il faut les voir, plaider pour eux à l’occasion.

— Ah ! si Paris m’appuyait. Vous savez que le préfet peut beaucoup.

— Prévoyez-vous une vacance ?

— Parmi les élus en possession, il y a des nullités