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LEURS FIGURES

soleil d’octobre donne l’illusion que les rues de Paris sont pleines de fleurs. Il ouvrit d’abord les journaux qu’il lisait chaque matin. Deux journalistes, ses créatures, taisaient qu’il eût été candidat, et se bornaient à enregistrer la désignation de Suret-Lefort : ils cherchaient ainsi piteusement à diminuer la portée de l’échec ; en somme, le succès de Suret-Lefort donnait satisfaction au parti républicain et ils eussent été maladroits de laisser percer d’autres préoccupations. Un à un, sur son chemin, Bouteiller ramassa tous les journaux. Quelques-uns portaient en manchette : « Exécution des chéquards. » Cette injure collective lui donna une amère satisfaction : elle montrait le faux calcul des lâches qui le sacrifiaient. Mais une série d’interviews prises à la Chambre auprès de ses intimes l’empoisonnèrent : se sentant suspects, ils applaudissaient bruyamment au succès de leur « ami » Suret-Lefort.

Cet ensemble créait à Suret-Lefort un véritable triomphe, un éclat de jeune gloire, d’adolescence aisée où chacun à l’envi apportait son hommage. Tout chez lui disait la pureté, un fécond avenir. Son avènement nettoyait la Chambre. Bouteiller éprouva les passions d’un officier qu’on dégrade. Son jeune collègue lui brisait son épée. En outre, ses complices en Panama lui mettaient le pied au bas des reins : il se voyait tragique et dindonné.