Page:Barrès - La Colline inspirée, 1913.djvu/293

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chien épouvanté par des ombres, que son cœur fidèle sauvegarde, et qui se rassure s’il entend d’incompréhensibles paroles, pourvu qu’elles viennent de ceux qu’il aime.

Et Léopold lui-même, comment aurait-il pu vivre, si tous les liens avaient été rompus pour lui avec cette colline où il puisait depuis toujours les aliments nécessaires à sa vie morale ? Installé dans un faubourg de Londres, le petit cercle extravagant des Vintrasiens partageait les privations des proscrits de l’Empire et semblait se confondre avec eux. Mais à mieux voir, c’était un cercle de derviches tourneurs. Pendant cinq années, Léopold, un coude sur le genou, la tête appuyée dans la paume de sa main, contempla de son regard intérieur les milliers de songes qui se levaient incessamment de sa conscience, comme des nuées de moustiques d’une eau morte, ou bien, soulevant ses paupières, il surveillait le prophète Vintras. L’homme positif, l’homme d’entreprises qu’avait été le restaurateur de Flavigny, de Mattaincourt, de Sainte-Odile et de Sion, cet homme si actif, qui venait d’être jusqu’à la cinquantaine animé par des soucis d’argent et de domination, semblait s’être évanoui. On l’avait chassé de toutes ses entreprises ; il se réfugia vers le