Page:Barrès - La Colline inspirée, 1913.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au fur et à mesure qu’arrivaient de France en Allemagne les wagons d’or, les Prussiens évacuaient pas à pas la Lorraine. Ils quittèrent Mirecourt le 25 juillet 1873, Charmes le 27, Saint-Nicolas et Nancy le 1er août. Rien aujourd’hui ne peut faire comprendre à ceux qui ne l’ont pas éprouvée, l’émotion patriotique, d’une qualité religieuse, qui souleva toutes ces petites villes au départ de leurs garnisons prussiennes. Il en alla partout à peu près de même. Dès le matin, un caporal sapeur de la compagnie des pompiers était dans le clocher avec la mission de surveiller les Prussiens. Toute la matinée, on en voyait encore dans les rues. Vers midi, ils commençaient à disparaître. Bientôt le guetteur annonçait la formation de la colonne. Un prodigieux silence de toute la population se faisait. À cinq heures sonnant, leur chef poussait trois hourras, et la troupe s’ébranlait. Quand le soldat de tête débouchait sur la grand’route, les cloches de l’église se mettaient à sonner en volée ; le caporal sapeur accrochait son drapeau en haut du clocher, près du coq ; instantanément la petite ville se pavoisait, et chacun se précipitait dans la rue. C’était une fourmilière heureuse, une famille dont tous les membres se congratu-