Page:Barrès - La Terre et les morts.djvu/19

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Un jour, j’étais à Metz ; les Prussiens, qui ont transformé Strasbourg, n’ont jusqu’à cette heure rien changé à l’antique cité lorraine. Une fois franchis les travaux immenses qui l’enserrent, elle apparaît dans sa servitude, identique à son passé. Par là d’autant plus émouvante, esclave qui garde les traits et l’allure de la femme libre ! Les visages prussiens, les uniformes, les inscriptions officielles, tout nous signifie trop clairement dans cette atmosphère messine que nous sommes des vaincus, Je visitai au cimetière de Chambière le monument élevé à la mémoire de sept mille deux cents soldats français morts aux ambulances de 1870. C’est au milieu des tombes militaires allemandes une haute pyramide. Une inscription terrible lui donne un sens complet : « Malheur à toi ! fallait-il naître pour voir la ruine de mon peuple, la ruine de la cité et pour demeurer au milieu d’elle, pendant qu’elle est livrée aux mains de l’ennemi ; — malheur à moi ! »

Cette plainte et cette imprécation, le passant français l’accepte dans tous ses termes et l’ayant méditée, se tourne vers la France pour lui jeter : « Malheur à toi ! génération qui n’as pas su garder la gloire ni le territoire ! »

Mais ne faut-il pas que tous, humblement, nous acceptions une solidarité dans la faute commise, puisqu’après tant d’années écoulées et quand les enfants sont devenus des hommes, rien n’a été tenté pour la délivrance de Metz et de Strasbourg que nos pères ont abandonnés ?