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UN HOMME LIBRE

éclair d’énergie, je pris le train de Nice. De Nice a Monte-Carlo je suivis la côte à pied, dans une atmosphère légère qui me disposait aux sentiments fins. Je m’imposais :

1° De respirer avec sensualité

2° De me convaincre qu’aucune des beautés soupirées par moi depuis trois semaines n’était en cette fille : « Je subis une querelle de mes rêves intimes ; l’amour n’est qu’un domino qu’ils ont pris pour piquer ma curiosité. Mais, en vérité, je n’ai pas à me mépriser ; personne n’a porté la main sur moi. Si je suis troublé, c’est moi seul qui me trouble. »

Je dînai abondamment, et malgré que cette heure (de six à neuf) soit lugubre au sentimental indisposé, je sortis du restaurant plus viril, un peu ballonné et un cigare très curieux à la bouche.

L’excellent remède que l’orgueil quand on va s’émietter dans un désagrément ! Je relève un peu la tête, je fais table rase de tous les menus souvenirs et je dis : « Quoi ! des scénettes touchantes que je fabrique pour m’attendrir ! vais-je m’empêtrer là dedans ! Je suis