Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109
LES FEMMES DE FRANÇOIS STUREL

que le sang me sortait par le nez. À Mtzkhet, capitale de Gengis, — qui vaut mieux, selon mon goût, que votre Napoléon, — mon frère m’annonça Tiflis, et il commença de me peindre en détail la famille.

« Il me dit que c’est un point d’orgueil d’habiter la maison de famille et que nous trouverions sous le même toit plusieurs sœurs toutes mariées, mes cousines : l’aînée, sa femme, une pondeuse, — la deuxième, une Cendrillon, — et la troisième, nommée Satinique, une très jolie personne ; et il ajouta : « Je lui ai expliqué qu’en Russie c’est fort bien qu’une jeune femme se mette sur les genoux de son beau-frère. » Je le désapprouvai beaucoup : car je pense qu’il faut tout faire, mais avoir de la tenue… Tandis qu’il parlait, nous avions monté une longue montagne et côtoyé le cimetière rempli d’hyènes qui hurlent le soir. Nous traversions les rues étroites de l’ancienne ville pour aboutir enfin à la poste des voitures.

« Des jeunes femmes habillées à l’européenne, d’autres avec des boucles pendantes et des longs voiles en arrière des anciennes familles géorgiennes, des enfants très sauvages qu’elles tiraient par la main, toute une foule, avec les mouvements et les cris de l’affection, se précipitèrent à ma rencontre et me félicitèrent. On chargea mon bagage sur un porteur, et, le long des maisons basses aux balcons en vérandas, croisant les hommes les plus beaux du monde, tandis que tombait la nuit, nous nous rendîmes à la demeure de famille. J’y trouvai une lettre de mon frère aîné qui m’écrivait : « Cherche partout la vérité. » Je notai immédiatement en marge, pour le lui développer : « Quand je voudrai des sermons,