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UN PROLÉTARIAT DE BACHELIERS ET DE FILLES

mille quatre-vingts et enfler ainsi à l’infini. Il en va de même dans les autres facultés, et les diplômés qui ne sont point des boursiers, c’est-à-dire des recrues de l’État et qui gradés de droit, de médecine, de pharmacie ne prétendent point être fonctionnaires, s’ils ne peuvent s’irriter contre le gouvernement, s’en prennent à la société. Racadot et Mouchefrin emploient toute leur énergie à pouvoir continuer leurs études et s’aigrissent de ne pouvoir, malgré les privations qu’ils s’imposent, s’ajouter à ces aventureux solliciteurs de fonctions inexistantes. Ils s’obstinent à poursuivre des diplômes qui ne leur serviraient de rien. Ils collaborent à la création d’un élément social nouveau. C’est une classe particulière qui sous nos yeux, en ces années 1882-1883, se constitue : un prolétariat de bacheliers.

Les Racadot, les Mouchefrin en font partie et même de l’extrême gauche, je veux dire de la fraction la plus irritée, la plus malheureuse. Comme une basse-cour se rue sur le poulet malade pour l’achever ou l’expulser, chaque groupe tend à rejeter ses membres les plus faibles. Ce n’est pas à dire que les Sturel, les Rœmerspacher aient pourchassé Racadot et Mouchefrin par dégoût de leur misère. Mais les conditions de la vie universitaire broient les pauvres.

Furieusement Racadot et Mouchefrin se débattent. Déliés de leur pays et de toute société, c’est à la liberté dont ils meurent qu’ils font appel pour vivre. Perdus au désert parisien, comme Robinson dans son île, ils ne comptent que sur leur industrie. Puissent-ils avoir le sens pratique de Robinson ! Leur cellule d’origine ne fournit plus rien à leur nutrition : il