Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
UN HASARD QUE TOUT NÉCESSITAIT

tions. Une hirondelle émigrante s’enfonce dans les airs. Il fut mélancolique et fréquenta la table de Rœmerspacher.

Il est certain que ce Renaudin, comme Mouchefrin et Racadot et, pour dire franc, Suret-Lefort aussi sont de basse société ; mais on ne se fait pas une psychologie, pas plus qu’on ne devient chimiste, sans se tacher un peu, et par ces expériences, Rœmerspacher, Saint-Phlin, Sturel furent rendus attentifs à bien des choses. On en va voir un splendide témoignage.

Mouchefrin et Racadot, toujours assurés de trouver à la table de Rœmerspacher un verre de café et des cigarettes, y étaient assidus, et Mouchefrin expliquait volontiers qu’il n’avait pas mangé de vingt-quatre heures. En outre, ils s’attachaient à Renaudin, dans l’admiration de ses appointements de trois cents francs et avec l’espoir qu’il leur procurerait une place de secrétaire, de reporter.

Aussi quelle fureur de haine les saisit, quelle abondance de désespoir les envahit, ces deux malheureux, le soir où Renaudin, sans même les regarder, dit à Rœmerspacher, à Saint-Phlin, à Sturel :

— Un des journaux où j’écris, la Vraie République, accueillerait des collaborateurs capables, fussent-ils jeunes et inconnus. J’ai eu du mal à les convaincre !… Si quelqu’un de vous trois, mes maîtres, avait un morceau à imprimer, je m’en charge.

Et quelle joie sur le visage de Renaudin ! Il a parlé a peine assis, et de l’air essoufflé d’un homme qui apporte des choses joyeuses, inattendues… Plutôt