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LES DÉRACINÉS

fois, c’était plus que le désir de s’isoler, et nettement une grossièreté voulue.

Gallant de Saint-Phlin, qui était un enfant admirable de négligence sur soi-même, de vivacité d’esprit et d’absence totale de malice, souffrit de cet échec : sa grand’mère se refusa désormais à partager son enthousiasme pour son professeur, et ses camarades l’humilièrent sur cet incident qu’il était incapable de taire. Il souffrait d’un léger désordre nerveux, qui montait passagèrement au degré de la passion les mouvements successifs de son âme tendre, noble et incertaine. Agité d’un besoin d’épanchements affectueux, il cherchait la popularité, la chaude sympathie de tous. Or, il était différent. Jusqu’à sa rhétorique, il avait travaillé avec un précepteur chez sa grand’mère ; et cette vie de famille, dans une belle propriété à la campagne, lui avait composé une nature telle qu’au lycée, après dix-huit mois d’initiation, il demeurait un nouveau. Il paraissait sans attache avec les réalités : c’est qu’elles n’étaient pas pour lui dans les usages et dans les règles du lycée, mais dans l’amour de sa famille et dans les longues promenades forestières de l’Argonne. Incapable d’observer les distances convenues entre professeur et élèves, il faisait la joie de la classe par ses discours et objections sur les matières du cours. Quand M. Bouteiller, ayant lu l’Hymne à la Terre, dit : « Je suis content de vous, avoir révélé une des pièces les plus profondes du poète philosophe », Gallant de Saint-Phlin lui répondit vivement :

— Je la connaissais ; je l’ai entendue de nouveau avec plaisir, mais c’est une vision astronomique et