Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
225
AU TOMBEAU DE NAPOLÉON

dèrent des conditions nouvelles, et ils tiraient tout le possible des vainqueurs de leur pays. Pour Napoléon, quand il eut neuf ans, ils obtinrent une bourse à l’École de Brienne, et toute la famille, une foule d’amis solidaires l’accompagnèrent sur le môle avec orgueil, parce qu’il allait devenir un officier. Il connaissait le sentiment de l’honneur.

« Ah ! se disaient les jeunes Lorrains écoutant Sturel, quand on nous a conduits au lycée, notre père, notre mère étaient seuls, par une triste soirée, et nous ne nous sentions délégués d’aucun clan, mais soumis à des nécessités lointaines, mal définies et qui nous échappaient… »

— À neuf ans, au collège d’Autun, puis, de sa dixième à sa quinzième année, écolier à Brienne, il tressaillit et trembla de rage, dans son isolement d’étranger qu’on raillait, et il prenait tout avec exaltation, jusqu’à vomir quand ses camarades ou ses maîtres le voulaient humilier. Mais il supportait sans médiocrité cette épreuve ; elle ajoutait encore à l’image qu’il se formait de sa patrie ; il s’efforçait d’être digne de l’injure de « Corse ».

« Nous aussi, pensent ces anciens élèves de Nancy, on nous raillait ; nous souffrîmes de l’isolement ; mais nous n’avons pas su dégager notre idéal et nous tendions à nous renier pour devenir pareils à nos insulteurs… »

— À quinze ans, continue Sturel, le jeune Bonaparte, élève de l’École militaire à Paris, par sa raideur prétend signifier à ses camarades, de grandes