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LES DÉRACINÉS

1815, dans l’héroïque dessin de Raffet : « Sire, vous pouvez compter sur nous comme sur votre vieille garde. » Enfants qui saisissent maladroitement leurs fusils, mais possèdent la force morale !

Et sans nul doute, par la puissance du lieu et par la contagion qui sous le nom de « napoléonite » sera classée parmi les principaux ferments de notre siècle, tout adolescent placé dans cet atmosphère se fût enfiévré comme ceux-ci, aurait eu leur geste de fierté, de tête levée, leur regard confiant sur l’avenir, quand Sturel leur jeta :

— Ce n’était d’abord qu’un jeune homme dépourvu !…

Instinctivement ils l’entraînèrent plus à l’écart, dans la chapelle du roi Jérôme et lui dirent :

— On sait sa biographie d’empereur, sa gloire, mais sa formation ? Et sa candidature à la gloire, comment la posa-t-il ?

— Dans leur île, à la fin du dernier siècle, les Bonaparte, mes amis, c’était une famille de petite noblesse, sans moyens d’action, mais tenace et ardente à se maintenir et augmenter. La mère, une femme magnifique de caractère et selon la grande tradition corse. Dans les rudes sentiers du Monte-Rotondo, la jeune femme héroïque, âgée de vingt ans, est enceinte de Napoléon quand elle fuit avec des patriotes qui ont essayé de défendre leur indépendance contre l’envahisseur français. Paoli, qui symbolisait devant l’Europe le héros vertueux, le sage qui tenta de réformer sa patrie en se conformant aux mœurs traditionnelles, cédait à la fortune et se réfugiait en Angleterre. Les Bonaparte s’accommo-