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AU TOMBEAU DE NAPOLÉON

doute, Corse francisé, il ne disposait pas des moyens héréditaires d’expression d’un Byron, d’un Chateaubriand, mais la vigueur de son âme aurait bien su imposer un rythme à ses rédactions.

« D’ailleurs, un Bonaparte est un plus bel animal que les Byron et les Chateaubriand. Ce sont des frères nourris par le sol riche et puissant des provinces à la fin du dix-huitième siècle et issus de races féodales analogues ; leurs trois noms fameux sont représentatifs d’états d’esprit également nobles ; mais tout de même le nom de Bonaparte évoque un système d’idées infiniment plus logiques et réalistes que ne furent jamais les caprices passionnés de René et le byronisme. Quelle qu’ait été la sincérité de Byron et de Chateaubriand, leurs sentiments déjà nous semblent artificiels. Ils se disaient isolés, se plaignaient des hommes, se cherchaient à travers le monde une patrie. À la fois aristocrates, révolutionnaires, utopistes et nihilistes, ils apparaîtront, de plus en plus, à mesure que l’humanité cessera de produire leur genre de sensibilité, comme un incompréhensible amas de contradictions. Bonaparte, lui, n’était pas homme à flotter. Ce grand homme, naturellement créait de l’ordre ; il usa de ses propres passions suivant la méthode scientifique qui, en présence de caractères constatés, les ordonne et les relie par une forte hypothèse, de manière à constituer une unité.

« Jeune et solitaire, il se persuada qu’il ne devait pas à quelque qualité mystérieuse de l’âme sa répugnance à s’accommoder de sa vie, mais qu’il serait heureux seulement dans la Corse libre et après avoir accompli le relèvement national rêvé par