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LES DÉRACINÉS

Paoli. Grâce à cette interprétation patriotique qu’il se donnait de son vague, il devint sur le sol français un véritable exilé, tandis que Byron et Chateaubriand sont des exilés imaginaires. Ce personnage d’insulaire mécontent, qu’il faisait de toute bonne foi, lui fut des plus favorables. Cet heureux expédient laisse déjà pressentir l’homme d’État doué pour installer les hommes dans une situation ou dans une opinion qui leur facilite de vivre. En effet, dès qu’il devint à ses yeux un exilé, il put appliquer son esprit à des réalités ; sa mélancolie, loin d’être un épuisant, le stimula ; son amour pour son pays lui fit un centre où tous ses sentiments se rattachaient. Tandis que Chateaubriand et Byron, à chercher partout le bonheur, usent et dégradent leur énergie, lui, l’affermit autour de son idée fixe. Habitant comme eux du monde idéal, il n’y caresse pas des chimères sans forme : il cherche à soutenir son clan, à organiser sa patrie.

« La force du rêve chez lui peut dès l’abord se transformer en action. Plus tard, sans doute, cédant à cet orgueil d’occuper les hommes que nous avons reconnu au principe de la mélancolie romantique. Chateaubriand confessera le catholicisme, et Byron, le libéralisme ; mais eux-mêmes douteront toujours de leur mission, d’autant qu’ils ont énervé de la tristesse des débauchés cette première sauvagerie qui faisait leur ressort… Bonaparte, lui, ayant su trouver le but le plus convenable à son ardeur, s’y réserva tout entier, jusqu’à se refuser de distraire en faveur de l’amour rien de sa résistance secrète.

« Sa passion ainsi concentrée, il la munit des expériences de l’histoire, pour connaître le caractère