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LES DÉRACINÉS

Ils laissent Napoléon, ils reviennent à eux-mêmes dont ils sont chargés. C’est assez dire : l’Empereur ; et son grand nom, qui crée des individus, les force à dire : Moi. Nous.

— Nos études vont se terminer. Nous contenterons-nous d’exploiter nos titres universitaires ? Serons-nous de simples utilités anonymes dans notre époque ? Rangés, classés, résignés, après quelques ébrouements de jeunesse, laisserons-nous échoir à d’autres le dépôt de la force ? Dans cette masse encore amorphe qu’est notre génération, il y a des chefs en puissance, des têtes, des capitaines de demain. Si quelque chose nous avertit que nous sommes ces élus de la destinée, ne cherchons pas davantage, croyons-en le signe intérieur : camarades, nous sommes les capitaines ! Au tombeau de Napoléon, professeur d’énergie, jurons d’être des hommes !

— Nous le jurons ! s’écria le petit Mouchefrin qui s’était glissé au premier rang.

— Soit ! dit Racadot.

— Étonnant ! murmura Suret-Lefort, dérouté de se sentir ému.

— Il était temps ! ajouta Renaudin qui, depuis deux ans, cherchait à faire de ses amis une coterie d’action.

— J’approuve Sturel, dit Saint-Phlin, mais Bonaparte et Loyola, qu’il aime à citer, dominaient les hommes parce qu’ils savaient en faire — l’Empereur des héros — et Loyola, des saints.

— En même temps, Renaudin disait :

— Bonaparte eut Paoli. Quel est l’homme national que nous pourrons servir pour le lâcher en temps voulu ?