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LES DÉRACINÉS

d’un cerveau ancien ou embryon qui se développera, quelque chose perçoit les énergies du pays, cherche à les diriger. Il y a en France un groupe d’hommes qui assument la tâche de trouver des solutions.

Précisément, ce même soir où ces romanesques s’efforcent d’être héroïques et, n’étant propres à rien, aspirent à tout, la société, la coterie qui est le mieux en mesure d’actionner et d’exploiter ce pays se réunit pour procéder à l’admission d’une recrue.

Bien qu’un homme décidé à entrer dans la vie politique ne puisse mépriser personne, Bouteiller, en vérité, est fort excusable de n’avoir donné aucune attention à ses anciens élèves quand il les croisa tout à l’heure sur la terrasse du bord de l’eau. Le temps est passé où il pouvait occuper son activité à enrégimenter de jeunes intelligences. Il doit prendre contact avec des forces vraies, avec ceux qui tiennent sous leur dépendance trente-huit millions trois cent quarante-trois mille Français et trente-six millions huit cent neuf mille coloniaux. Quand Sturel, Rœmerspacher, Saint-Phlin, Racadot et les autres, qui cherchent un appui pour agir et dominer, mais qui ignorent si naïvement la vie, ont rencontré leur ancien maître, il agitait dans son esprit des problèmes analogues aux leurs, mais il allait dîner rue Murillo, 20, chez le plus grand déniaiseur de Paris.

Le fameux, influent et actif banquier juif, baron Jacques de Reinach, est un produit de la République parlementaire. Né à Francfort, en 1840, il a obtenu la naturalisation française depuis la guerre. Un de ses frères, demeuré allemand, dirige encore, à Francfort, la banque à la tête de laquelle mourut leur père en